2. Le réchauffement climatique pour les habitants des alpes.
S’il est un sujet proche du tabou en Tarentaise-Vanoise, c’est le réchauffement climatique. Il est là, visible et violent, sous nos yeux. Il est documenté scientifiquement depuis 4 décennies. Il est accrédité par les mesures de quantité de neige, de fonte des glaciers, de changement dans les régimes hydriques.
Pourtant, dans une sorte de déni et de foi scientiste, on continue de faire comme si tout allait bien se passer, que ce qui compte c’est le nombre de canons à neige qui nous sauveront du déluge… Amen.
Au delà des préjugés, que sait-on vraiment du réchauffement climatique. Je vais essayer de faire simple tout en étant factuel, en ne tombant pas dans le piège d’un alarmisme paralysant.
D’un point de vu mondial, le consensus scientifique est très grand pour affirmer que :
- Le changement climatique et la destruction de l’environnement sont d’ores et déjà responsables d’un nouvelle extinction massive de la biodiversité du même ordre que la dernière en date du crétacé (il y a 65 millions d’année) qui a mis fin aux dinosaures (entre autre). Nous sommes officiellement entré dans l’anthropocène, littéralement : l’ère de l’humain, en tant que force géologique. Ce simple fait devrait nous préoccuper un peu (plus ?).
- Des millions de personnes sont déjà en migration directement à cause de ces changements et les prévisions les plus prudentes parlent de centaines de millions pour les prochaines décennies. Pourtant on voit la grande difficulté pour l’Europe d’accueillir 1 ou 2 millions de personnes dès aujourd’hui.
- Les conditions même de la survie de l’humanité sont mises en péril, car le système alimentaire mondial est menacé.
Toutes ces données sont, entre autre, issues des rapports du GIEC [4] (Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, qui est la seule entité à étudier réellement le problème). La science nous invite donc gentiment à essayer d’agir pour ce qui semble être le plus gros défi que l’humanité ait connu jusqu’à présent.
Cela nous semble surement éloigné et abstrait, mais regardons de plus près ce que cela implique pour nous, petit peuple d’une belle région montagnarde d’Europe. Au risque de paraître indécent pour certains (vu les conséquences dramatiques pour d’autres populations du globe) j’affirme que le réchauffement climatique est le plus gros danger pour notre business-model. Est ce bien vrai ?
Soyons factuel, que nous dit la science :
- D’ici à 2050, les dés sont lancés (les émissions de Gaz à Effet de Serre, GES, sont déjà émises) et la tendance observée de réchauffement va se poursuivre continuellement.
- Après 2050, cela dépendra des politiques misent en place aujourd’hui (en non pas demain).
Un seul scenario est susceptible de stabiliser la montée de température au niveau qui sera atteint vers 2050 : arriver à une neutralité carbone dans 30 ans, et donc baisser nos émissions de 45% dans la prochaine décennie. [5] Cela relève de l’effort de guerre, c’est tout à fait réalisable si cet objectif est prioritaire dans nos décisions. Malheureusement les gouvernements ne prennent pas cette direction malgré les grands discours et les objectifs déjà fixés par les lois, notamment en France. Espérons que le changement arrive très rapidement.
Les autres scenarii d’émission de GES nous amènent tous à une augmentation encore plus importante des températures, et leurs conséquences sont graduellement plus dramatiques. Dans ces cas là, la question de sauver l’industrie du ski ne se posera même pas.
Donc d’ici 2050, c’est à dire dans 30 ans, ça va encore monter et après, si on est très volontaire à faire changer les choses, ça pourrait se stabiliser.
De combien la température va-t-elle monter ? On nous parle de 1,5°C, 2°C. Qu’est ce que ça veut dire, concrètement, pour la Tarentaise-Vanoise ?
Par exemple 1,5°C c’est la différence de climat entre Paris et Toulouse.
Les experts de Météo France nous indiquent que la température chez nous a déjà augmentée de 1,5°C environ car les Alpes sont plus sensibles au changement climatique. Ils nous disent aussi que l’enneigement dans nos stations pourrait être de moitié dans 30 ans, et le nombre de journée de couverture neigeuse baisser de 30 à 40 jours.
En réalité, c’est un exercice prospectif risqué et on ne peut pas vraiment avancer des chiffres certains.
Une chose est sûre, l’évolution qu’on a eu ces 30 dernières années va se prolonger au moins 30 années de plus. Et finalement les chiffres exacts n’ont pas une grande importance, ce qui compte c’est la tendance.
Une autre données est très importante : la variabilité du climat va augmenter. Cela veut dire qu’on va avoir certains hivers avec beaucoup de neige, d’autres bien plus secs ou doux. Et au court d’un même hiver des changements très importants.
On le voit bien depuis une petite dizaine d’années, il neige « plein pot », vient ensuite une période de pluie, de chaud ou de vent, puis de nouveau très froid et sec.
On dirait que le climat se dérègle : ce n’est pas qu’une impression.
Ces dernières années, il était possible de faire du ski de printemps en plein Janvier, et de faire de la poudreuse profonde deux jours plus tard au même endroit.
Au delà des relevés météo qui sont sans appel à cet égard, je vais vous raconter mon expérience personnelle. Cela ne relève pas de la méthode scientifique, mais je pense que c’est symptomatique de la situation que nous vivons :
Je suis né au début des années 80 à Bourg Saint Maurice. Des hivers de mon enfance, je garde des souvenirs pleins les poches (probablement exagérés je ne me fais pas d’illusions). Les sessions de déneigement régulières en famille devant la maison, avec parfois de la neige fraiche plus haute que moi. L’apprentissage de la glisse au téléski du pré St Jean (emplacement du Gymnase/lycée actuel, plein centre du village). Les igloos dans les champs, les sauts périlleux depuis les balcons des maisons dans des épaisseurs incroyables, la cour d’école blanche pendant plusieurs mois font partis de la magie de mon enfance.
Et puis vers la fin des années 90, j’ai commencé à voir pleuvoir des trombes d’eau juste après de belles chutes de neige, à cette altitude de 850m. Pour être honnête, j’en ai pleuré. On cassait mon jouet, pauvre petit bourgeois. Ce phénomène est devenu de plus en plus fréquent.
Dans les années 2000, lorsqu’il pleuvait à verse dans mon jardin, je me rassurais en me disant : au moins en haut ça pose, c’est toujours ça de pris…
Et puis fin des années 2000, les épisodes de pluie à plus de 2500m en plein hiver sont devenus de plus en plus fréquents. Le couvert neigeux dans le fond de vallée s’est restreint tant en épaisseur que dans la durée. La descente à ski jusqu’à Bourg, si on arrive à la faire une fois dans l’hiver on est content alors qu’on rentrait tout le temps à ski jusqu’au bas du Télésiège de Montrigon auparavant.
A Val d’Isère, 1850m d’altitude, on commence à voir la pluie tomber régulièrement dans le village en plein hiver depuis les années 2010. Phénomène nouveau pour les habitants, ils vivent ce que nous avons vécu 1000m plus bas une quinzaine d’année plus tôt.
Comment seront les hivers en 2050, qui peut savoir.
Mais si je prolonge ce qu’il vient de se passer les 30 dernière années, permettez moi d’être un peu pessimiste.
Mon père a connu l’avènement des stations, leur croissance fulgurante. Je suis née quand la première grande vague de constructions était passée, on a continué à « engraisser le mammouth » et on commence à voir le déclin se dessiner. Mon fils est né l’an passé, le business-model de l’industrie du tourisme lui permettra-t-il de vivre ici quand il aura 32 ans, en 2050 ? Si oui à quel prix ?
Pour mes futurs petits enfants, un retour à la paysannerie avec un complément touristique pourrait être une solution pour survivre. Si les conditions climatiques le permettent encore, ils gagneront en qualité de vie. Ils me poseront surement cette question : dit Pépé, pourquoi elle s’appelle l’aiguille des glaciers cette montagne ?
On entend souvent : "ce sont des cycles, ça va revenir." Ou encore : "on a déjà vu des hivers sans neige, c’est pas nouveau…"
A priori ce n’est pas une histoire de cycle, les cycles naturels du climat ont lieu sur des milliers d’années a minima, pas sur un demi siècle.
Les hivers sans neige, des débuts de saison difficiles, bien sur qu’il y en a eu, mais cela était dû au manque de précipitations, pas aux températures trop élevées.
En clair, on a déjà eu de nombreux hivers secs, mais pas d'hivers aussi doux que ceux de ces dernières décennies.
Et ça change beaucoup de choses. Notamment en ce qui concerne les enneigeurs.
Il est indéniable que les canons ont souvent aidé nos stations en début et fin de saison ces dernières années. On voit cependant qu’on commence à atteindre les limites de l’apport de cette technologie, après une trentaine d’années de bons et loyaux services. La faute aux températures trop hautes et à la variabilité qui augmente :
Il est déjà arrivé que l’on produise énormément de neige artificielle avant la saison, en épuisant une grande partie du stock d’eau disponible, puis de voir nos beaux tas de neige fondre en très peu de temps à cause d’un gros redoux, ou d’un coup de foehn.
On voit que les canons n’ont pas suffit pour permettre l’ouverture de plusieurs stations des Pyrénées cet hiver.
Le maire de la Clusaz à décidé d’allouer la moitié des réserves d’eau (deux cent quarante mille mètres cube) normalement destinée à la production de neige, pour l’eau potable de la population [6].
Ces situations ont toutes les chances de se reproduire de plus en plus à l’avenir, même pour les stations de haute altitude.
Il suffit d’aller faire un tour aux rencontres climat-météo-montagnes pour se rendre compte que cette grand-messe des vendeurs de canons à neige n’a pas vraiment pris la mesure de ce qu’il se passe. On nous serine que l’Autriche a un taux de couverture de neige artificiel qui ferait rougir la plus pudique des nones de la CDA …, rattrapons vite le retard ! Les bons apôtres de la neige artificielle se prennent pour les nouveaux paysans puisqu’ils la cultivent pour le bien de tous. Ils n’ont probablement pas beaucoup d’expérience "au cul des vaches" pour oser pareille comparaison, eux qui veulent nous faire croire que le high tech, la connexion en temps réel, le guidage satellite vont sauver nos Âmes et nous permettre de nous remplir les poches encore longtemps. Ils veulent simplement remplir les leurs, tant que c'est possible.
Les paroles les plus sensées que j’ai pu entendre lors de l’édition de 2018 sont celles du président de la CCI de Savoie, Monsieur Bruno Gastinne [7], qu’on ne taxera pas d’écolo : il a lancé un appel pour le climat en conjurant les acteurs économiques du tourisme hivernal d’agir de façon préventive contre le réchauffement climatique et plus seulement de façon curative avec les canons à neige. A-t-il été entendu ? On ne dirait pas pour le moment.
La réalité est qu’avec l’augmentation de la température et de la variabilité, il va être de plus en plus difficile et coûteux de produire de la neige artificielle. Tôt au tard, il nous faudra soit renoncer à la neige de culture, soit y ajouter des cristaux d’iodure d’argent et d’autres substances chimiques capables d’élever le point de congélation du liquide. Cette technique heureusement interdite aujourd’hui, se ferait au détriment de tout ce qui se trouve sur le même bassin versant, dont les sols et les nappes phréatiques seront définitivement impropres pour boire ou produire de la nourriture. Vivant avec ma famille sur le versant des Arcs, je souhaite que mes gosses puissent boire l’eau du robinet et manger les fruits et légumes de notre potager toute leur vie sans s’empoisonner !
Les canons à neige semblent être une vrai-fausse bonne solution sur le moyen terme, une sorte de béquille qui repousse l’inexorable de quelques années. Croire que les canons vont nous sauver nous emmène toujours plus loin dans l’incapacité de bifurquer vers une économie plus pérenne.
La Grande Sassière, face Sud (Photo B. Roumier)
Sources :
[1] Cette brève histoire de la Tarentaise en issue en grande partie du livre de Y. Brêche et L. Chavoutier, Une vieille vallée raconte ses souvenirs, Petite histoire de la Tarentaise, aux éditions Xavier Mappus.
[2] Anouk Bonnemain, Quelle capacité d’adaptation pour les stations de sports d’hiver de haute altitude des Alpes du Nord ? [en ligne]. Openedition.org [Consulté en Janvier 2019] https://journals.openedition.org/soe/1055
[3] Agence PopRock, Tout le monde dehors [en ligne]. poprock-agence.com [Consulté en Janvier 2019] http://www.poprock-agence.com/telechargez-lextrait-de-letude-monde/
[4] Rapport automne 2018 GIEC, en anglais [en ligne]. [Consulté en Janvier 2019] https://report.ipcc.ch/sr15/pdf/sr15_spm_final.pdf
[5] ibid.
[6] Article France bleu [en ligne]. francebleu.fr [Consulté en Janvier 2019] https://www.francebleu.fr/infos/climat-environnement/face-a-la-secheresse-la-station-de-la-clusaz-fabriquera-moins-de-neige-de-culture-cet-hiver-pour-1542126595
[7] Compte rendu des conférences [en ligne]. www.rencontres-meteo-montagne.com [Consulté en Janvier 2019] http://www.rencontres-meteo-montagne.com/upload/tinymce/pdf/Compte-rendu-conferences-RCMM-2018.pdf
[8] Anouk Bonnemain, Quelle capacité d’adaptation pour les stations de sports d’hiver de haute altitude des Alpes du Nord ? [en ligne]. Openedition.org [Consulté en Janvier 2019] https://journals.openedition.org/soe/1055
[10]Page wikipédia Club Med [en ligne]. fr.wikipedia.org [Consulté en Janvier 2019] https://fr.wikipedia.org/wiki/Club_M%C3%A9diterran%C3%A9e